Artiste et poète, Yanick Jean lit trois extraits de son recueil, La fidélité non plus.
Enregistrement de 7 minutes réalisé à Delmas et à Pétion-ville (Haïti) en 1992, l’une des vidéos d’auteurs haïtiens de Jean-François Chalut.
Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Yanick Jean (1946-2000).
Vidéo de 7 minutes, disponible avec des sous-titres (pendant la lecture, cliquer CC).
début – premier extrait
02:10 – deuxième extrait
04:10 – troisième extrait
premier extrait
Le ciel est d’une encre si pâle que le temps ne joue plus à s’y teinter les doigts. La tendresse cavale dans l’aigu de ma voix, car me fendre toujours à l’arête des portes a émoussé l’alarme catalysant mon pleur. Et s’enlise mon coeur quand mes eaux ont rompu…
Le temps est d’une encre si pâle que le ciel néglige de se teinter de foi… Alors, je trace dans mes mains une ligne où la chance va reprendre ses droits car j’invente la ligne où la vie s’essouflant à la vie transcende ce mot-là…
Lors nos ventres se tendent à l’arc des attentes et nous levons de ce naufrage, un continent d’ivresses et d’espérance… Là, le silence est clair. Immense. Et pilonne la parole de souffrance et sa fréquentation… Alors se dissolvent l’effarante fanfare des plaintes et grimaces, ainsi que ces voilures des déraisons, ainsi que mes ratures…
Je renais. À la neuve et magique enfance. Et j’ai des yeux de paravent. Isolée. Je contourne l’empreinte de la peine et murmure des noms de tourterelles à l’ondoiement de mes ruelles. J’inente un sel éperdu, à l’intimité de mes angles…
deuxième extrait
Comme la branche ensoleillée néglige l’ombragée
tu me crois sucre et sel
abeille et miel
et parce que ton corps est aveugle à mon corps
tu me crois sève au soleil…
or, l’espace toujours…
et l’espace toujours est plus rude qu’écorce
mieux armé que béton…
Le cri.
Le cri s’abîme jusqu’à la plainte
et je prie : ô larme, soulage-moi
répands-toi que je confonde ton sel au parfum des envies…
Ô larmes, coulez et je dirai comme il a plu.
Comme ce ciel tout neuf, recréé à ma soif et à ma faim, offre un urgent festin…
L’espace inébranlé dit : Moi, je suis la corde…
Je suis sourde à sa voix.
Ma foi inébranlée entonne l’hymne ivre déjà, et déjà glorieux à espérer tes pas…
Mais l’espace est la corde et mon creux le
galet.
Quand seras-tu venu m’empêcher de sombrer,
ou bien ne viendras-tu la noyée identifier ?…
troisième extrait
Survivre.
Maîtriser au point de croix
l’écartelé malavisé de moi-même d’avec moi-même
Ne viendras-tu me réconcilier…
Ne viendras-tu ressouder ma chair avec ma chair, ô
toi, enclave de toutes excessives débâcles…
Il était programmé que le premier inventé parlerait au
nom de tous les autres. Après les trois coups
réglementaires, il diagnostiqua doctement : Ce sujet est
mal-allant.
Le second venu, effaré, sutura précipitamment ce magma
ébouriffé de plumes bleues, d’encre violette, de
la palpitation d’ailes des papillons de la
Saint-Jean. Depuis ce temps de malversion, elle explore
avec l’autre venu les rigoles odorantes et avec
d’autres venus, les petits lieux aux jointures
chancelantes…
et prend l’éther et le scalpel et puis sa côte la
plus libre enfante l’autre :
l’infinitif…
On dira qu’elle campa ceux-là comme de simples inconnus. Salua leur passage d’une main machinale. On se trompera encore… elle est l’ancre des tolérances. Elle n’a happé non plus le fanion visionnaire des mains d’aucune enfant… ni dérobé son lait aveuglant de promesses. Elle n’a péché que d’allégresse, elle a simplement nourri les scorpions et les vers de mes tripes alertes…
Jean, Yanick. La fidélité non plus, extraits
lus par l’auteure.
Delmas et Pétion-ville (1992). Vidéo de 7 minutes. Île
en île.
Mise en ligne sur YouTube : 18 mai 2013.
Cette vidéo était auparavant disponible sur Dailymotion
(mise en ligne le 6 novembre 2010).
Caméra : Jean-François Chalut.
Textes extraits de La fidélité non plus, recueil publié à Port-au-Prince à l’Imprimerie des Antilles en 1986, et republié à Montréal chez Mémoire d’encrier en 2003, pages 56, 57 et 84 (de l’édition de 2003).
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