Bonjour à toutes et à tous.
Le monde haïtien des Lettres est en deuil. Excusez-moi de vous apprendre la nouvelle de façon brutale; en effet le doyen des poètes haitiens vient de s’éteindre en cette journée du 11 janvier 2004. Emporté vraisemblablement par une crise cardiaque aux environs de 13 heures (heure d’Haïti). Décidément l’année s’annonce éprouvante. René Belance est né à Corail, sud-ouest d’Haïti le 8 janvier 1915. Il est mort trois jours après sa date d’anniversaire à l’âge de 89 ans. Haïti et le monde des lettres viennent de perdre un géant de la poésie. On y reviendra. Bonne année.
René Bélance nous quitte
8 janvier 1915 – 11 janvier 2004
Sans bruit, René s’est retiré de la scène, comme à son habitude, à pas feutrés. Par cette mort, les Lettres haïtiennes enregistrent une perte énorme qui affecte toute notre intelligentsia.
Pour ceux qui ne le connaissaient pas, René Bélance, né à Corail en Grande Anse, est entré en littérature en 1940 avec Rythme de mon Cœur; une vocation qui ne s’est pas démentie au cours des ans. Le poète atteint la maturité avec Épaule d’Ombre (1945), maturité confirmée par son dernier recueil Nul Ailleurs (1983).
Durant sa carrière d’écrivain, il a rencontré de grandes célébrités. Le poète Léopold Sédar Senghor lui fait une place remarquée dans son Anthologie de la Nouvelle Poésie nègre et malgache.
Son héritage se fait sentir dans les écrits des poètes des années 1960 et même chez ceux de la nouvelle génération. À ce titre, et par son grand âge, le pays vient de perdre le doyen des Lettres haïtiennes.
Par cette note, nous rendons à ce poète remarquable, un hommage mérité.
12 janvier 2004
(Texte paru à la une du quotidien haïtien Le Nouvelliste le 13 janvier 2004 ; reproduit avec permission.)
Note de la mer
Quel est donc le prix
– Josaphat-Robert Large
12 janvier 2004 |
Bulles
Sans faire de bruit
Tu laisses à la postérité À toujours, Poète.
– Claude C. Pierre
12 janvier 2004 |
Pour René
René Bélance le doux aède
Notre pays exsangue perd encore
Et
– Paulette Poujol-Oriol
12 janvier 2004 |
Nous: poètes, écrivains, intellectuels haïtiens de l’extérieur, ne saurons passer sous silence la disparition du Doyen des poètes d’Haïti: René Bélance.
Tout comme Magloire Saint-Aude, René Bélance avec son recueil Épaule d’ombre a tenté, par le surréalisme, d’élargir notre conception de la poésie, ouvrant ainsi des pistes, pour une nouvelle pratique d’écriture, que les jeunes d’Haïti Littéraire et tant d’autres par la suite, se devaient d’illustrer.
Malgré les déchirements, dont notre pays est le théâtre, depuis quelques mois, malgré l’aveuglement de la violence de quelques-uns, et allant au delà de tout sectarisme nous: poètes, écrivains, intellectuels de l’extérieur, nous nous unissons à nos confrères et consœurs d’Haïti pour saluer la mémoire de René Bélance, qui fut non seulement un poète, un professeur d’université, mais également un instituteur dans les villages reculés d’Haïti.
René Bélance, une voix d’homme
Souvent battu, volé et humilié ces derniers temps par des jeunes voyous de son quartier en raison de son grand âge et de sa solitude, le poète René Bélance avait dû abandonner sa maison, sa bibliothèque, l’espace de ses souvenirs. Ce déplacement inopiné a sans doute accéléré son départ. Aujourd’hui René Bélance n’est plus. Pourtant, les poètes (ses amis de toujours) s’étaient tellement habitués à ne pas le voir vieillir que sa mort nous prend de court et nous laisse dans le trouble.
René Bélance a eu le sentiment d’avoir raté sa vie par l’inaccomplissement de certains rêves, le principal consistant en la mise en pratique de ses connaissances en éducation rurale au service de son pays. De façon générale, en lisant Bélance, le lecteur est comme obsédé par l’élucidation d’une énigme. Bélance, poète, se dresse devant nous dans ses outrances, ses questionnements, son atmosphère d’étrangeté:
Garde la mer comme une poupée qu’on berce
en prévision des bouleversements de saisons,
la mer couveuse d’étoiles calcifiées ou de traîtrise.
(Épaule d’ombre)
Il y a dans la poésie bélancienne une colère, une irréductibilité qui congédient tout appel à la flagornerie. C’est en ce sens que Bélance nous apparaît comme un poète moraliste et polémiste. En effet, la poésie bélancienne n’est pas une poésie de divertissement. Elle ne s’accomode pas des effets de voix. Elle charrie toujours une gravité, en portant les mots à leur extrême tension. Son lexique semble n’appartenir qu’à lui, c’est-à-dire au dénouement d’un drame qui tiendrait, pour aller vite, du tragique haïtien: la trahison des hommes politiques, leurs assassinats planifiés, leurs mensonges et le vol.
René Bélance n’est plus. Mais il restera pour nous le poète qui aura su dire son indéfectible attachement à tout ce qui fait bouger le monde: la révolution, la poésie et l’amour.
Au moment où nous essayons de détruire les vieilles Bastilles, les Fort de Joux et Fort Dimanche, nous refusons toute littérature sous appellation contrôlée, et nous disons avec René Bélance:
[…] nous n’avons pour pagaie
que notre seule voix d’homme
(Nul ailleurs)
15 janvier 2004
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