Convivialité
dites que jamais ne furent déni la joie mutée ni le désir ni l'hibiscus encagé d'abandon, que jamais ne fut braiment terre une terre criant couvée impuissante à dénouer le serment de vos doigts, que ne s'en fut le colibri de plein bois ni ce rossignol veillant sur matins ouverts à réveils ou chagrins dites que jamais ne se donnèrent pour silence l'annonce même du chant ni lèvres tremblées à malheur et patience ni la voix-miracle de l'homme, oubliée; apprivoisez cet appel qui autrefois enfantait déshérence à force de vocalises en la douleur et l'étonnement de votre gorge; que dissonance ne soit ombre ni menace triomphant du sable docile, il ne faut pas, pas plus qu'il ne faut trouées de songes ni gorgées de sale écume pour boire jusqu'à varechs, jusqu'à braise éteinte un siècle encore hagard de brises cacophones et d'orée caraïbe; la voix de l'homme ne fut-elle, après tout, combat de siècles à peine gagné par dérive ou grégaires tendresses, par désastres mutilés, désertés des hauts chants? N'est-elle gré dans le vent, chemin de corps offerts, de feux offerts ou de fruits mûrs? Ne fut-elle, un matin, cet horizon surgi de marche et d'errance? Dites-moi quelle anse revivra le retour occident dont on rêva, autre et grand : galions désarmés porteurs de livres de sagesse, filles confiantes à nous confiées, les yeux fermés, le vase plein pour un nouvel homme de quête et de rencontre, et je vous dirai mes pensées yanvaloues, l'inlassable, terre et bois, ciel et falaise, le vent d'aussi loin qu'on s'en souvienne, ma frayeur désirée, brume et Nordé cyclique, ma rutée de Mois d'août en province, et folles toutes Choses folles autour de vous Quel vertige alors, votre silhouette en ce vent! Inavouée d'espace-orage, vous seriez affolement d'amarres retenant à grand peine nos souffles déjà nouant déjà chantant! et vers moi viendraient des mains d'ancienne prière glissées du fébrile, tirant votre filet et tirant votre pêche où convive je serais par soleil et marée
Blues à Madame
danser ce blues avec vous, madame,
la terre arrêterait ses horreurs de gloire
le sang les prisons les naufrages
le pain qui jamais pour tous ne fut quotidien
les combats sans lendemain
et les chagrins qu’on oublie dans la cendre
danser ce blues avec vous, madame,
s’épuise un aveu en la fumée d’un soir de
grâce
le monde est plein de combats inutiles;
madame, la terre est injuste
la terre est inquiète
la terre est malade
et devant que meurent les grands soirs rouges
en le regard voilé des cadavres
et leurs questions immobiles
vous seriez dans mes bras l’illusoire et
l’instant
sortis de toutes les langues du monde
par quoi l’homme étreint des bonheurs de
faïence
qui jamais ne furent;
et s’il faut qu’amertume et douceur se
confondent
au moins guérirait une blessure
ce soir-là
si vous dansiez ce blues avec moi,
madame,
le temps d’un rêve à faire
(Incantatoire)
Les deux poèmes de Raymond Chassagne, « Convivialité » et « Blues à Madame », ont été publiés pour la première fois dans le recueil Incantatoire (Port-au-Prince: Éditions Regain, 1996), pages 98 et 20. Les poèmes sont dits par Anthony Phelps et figurent sur le disque audio, Incantatoire, de Raymond Chassagne, poèmes dits par Anthony Phelps et Boris Chassagne. Disque réalisé par Anthony Phelps; Musique, composition et interprétation d’Oswald Durand. Montréal/Port-au-Prince: Productions Caliban, 2003, PC-115. Poèmes et enregistrement utilisés avec permission.
© 1996 Raymond Chassagne pour les poèmes et © 2003 Raymond Chassagne pour l’enregistrement (05:08 minutes)
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