(trois poèmes sélectionnés)
Tabernacle de toutes les ignominies
Haïti s’immole sur l’horloge déréglée de la
haine.
Aveugles, nous pataugeons dans le labyrinthe des folies
assassines.
Pourtant, au-delà des remparts de la peur se dessine
le halo des brises vagabondes, porteuses de renaissance
et d’amour.
La perle sur ta joue mon aimé, dans ce nouveau matin,
sera de volupté.
Dieu le veut !
* * *
N’étant pas malhonnête, tu suis les règles de la
fête.
Amateur de bonne chair,
Tu en fais provision pour tes soirées d’hiver.
Demain tu te tairas ou parleras de ces femmes-là
au subjonctif imparfait.
Nul n’en pâti, le théâtre est complet.
Quant à moi sur mon parapet,
de tes amours je ne comprends point les faits.
Si ta réputation perdure
dans le quartier des arlequins,
tu restes sous la lanterne, gueule ouverte sur ta
faim.
Quelle misère pour une putain,
de toi, qui se souvient.
Dieu seul accorde miséricorde aux catins.
* * *
La mémoire est souvent oublieuse de ce que l’on
a
fait.
Se croire vieux à cinquante ans, accretion à nos pas de
la moisi des
souvenirs brumeux
Chacun redevient prisonnier de sa pudeur,
parlant à voix contenue dans la respectueuse familiarité
des
conversations de salon.
Avoir le sentiment que sa vie est une oeuvre aboutie
alors que l’on
n’a connu que quelques fragments.
On se fond dans le fondamental ennui
des conventions sociales.
Gagnant de moins en moins de combats
et n’utilisant le pouvoir des mots à dire
que pour faire le déni de nos échecs
et exorciser nos désillusions.
Étonnés un matin,
on se surprend à vivre les émotions des autres.
Quelle tristesse habite donc l’aire de ces
vampires du vide.
Reproduits avec la permission de l’auteure, ces trois poèmes sont extraits du recueil de Marie-Alice Théard, Le temps, paroles à dire (Pétion-ville: Théard, 2007), pages 25, 119 et 157.
© 2007 Marie-Alice Théard
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