Michel Philippe Lerebours lit une sélection de ses textes de son oeuvre :
00:00 – un extrait de son essai,
Haïti et ses peintres de 1804 à 1980
02:57 – Le Roi (pièce), premier extrait
03:57 – Le Roi, 2e extrait
04:56 – Le Roi, 3e extrait
05:36 – « Dit pour les vierges mutilées »
Haïti et ses peintres de 1804 à 1980
(extrait)
Cette étude nous l’avons réalisée entièrement en dehors
d’Haïti. Cet éloignement de la terre natale nous a, à la
fois, favorisé et défavorisé.
Défavorisé, parce que nous n’étions plus en
contact direct avec le milieu et ce qui s’y
passait, qu’il nous fallait nous contenter de lettres,
d’articles de journaux, de résultats d’enquêtes, de
confidences, d’impressions et de récits d’artistes
rencontrés au hasard de nos randonnées ; de diapositives
et d’expositions dans les galeries de New York, de
Washington de Montréal, de Québec ou de Paris. Une bonne
diapositive n’exprimera jamais la réalité de l’œuvre, et
un échantillonnage ne permettra jamais de comprendre
pleinement un phénomène aussi dynamique que la peinture
haïtienne entre des années 1960 et 80.
L’éloignement avait provoqué une distanciation qui nous gardait en dehors des cabales, des intrigues de chapelle, des rivalités mesquines, surtout quand il s’agit d’Haïti où le sous-développement économique et la pauvreté intellectuelle et morale rendent plus âpre le combat pour la survie, exalte une médiocrité qui se double de toute l’inconscience de l’ignorance, donnent aux sentiments simulés le visage de la vertu, substituent à la réalité les fantasmagories des mythomanes et font perdre à l’esprit le sens de l’équilibre et de la mesure. L‘appât du gain avait mis des oeillères et aux exploiteurs et aux exploités qui se dévoraient dans des baisers d’amour infinis. À distance, il était possible d’entendre avec calme, de disséquer, de peser et de sous-peser.
Depuis que nous sommes revenu en Haïti, nous avons appris que l’arbre peut cacher la forêt, que les lianes peuvent enchevêtrer le sentier et que le rocher peut brusquement devenir poussières. Tout compte fait, la seule façon d’explorer la forêt est de la survoler. Ceci n’est sans doute pas sans danger. Nous estimons toutefois préférable de manquer la poésie de quelques sous-bois pour avoir une vue d’ensemble plus nette et plus claire.
Le Roi (1er extrait)
Taisez-vous !
Taisez-vous
La marche forcée a commencé
Ils viennent en rangs serrés
Et leur cri fait surgir des arcs-en-ciel aux flèches des
cocotiers
Le canon a tonné trois fois sur la mer en furie
Et dans la plaine s’assemblent les oiseaux pour une
longue veillée.
Le roi s’en vient, monté sur un cheval noir
Le roi n’a point de visage mais ses yeux sont
flamboyants d’enthousiasme et de pureté
Et son sourire accueillit toute la jeunesse du monde.
La mort blanche s’affole
Elle trace des arabesques sur les sabots des chevaux du
Roi
La mort blanche se méfie du Roi.
Le Roi apporte le sel, et du sel, exploseront des
capsules de vie.
Le Roi (2e extrait)
Trop tard
La foule a succombé sous le poids du Roi.
Le Roi gît par terre, menacé par les chevaux de la mort
blanche
La marée s’enfle brise les digues, et s’en vient
tourbillonner
Sur les dernières lueurs du crépuscule
Le crépuscule et le sang et le sang délavé coagulent sur
les blessures des lèvres
La foule se tait.
Et les morts condamnés sans rémission reprennent yeux
fermés
Le chemin brûlant des bagnes
La foule se tait.
Il y a des crises silencieuses dans la vallée
Les secousses sismiques ont ébranlé les entrailles de la
terre
L’armée des araignées se met en marche
Elle entonne un chant guerrier ponctué de cris de
deuil
La mort est contagieuse
Elle s’en vient à l’assaut du Palais.
Le Roi (3e extrait)
Le bonnet de l’arc-en-ciel
Oui
Quand viendra la pluie et que s’illuminera le ciel
Et sur les bayarones en fleurs jailliront les étoiles de
midi.
Pour que sans crainte, dans la rosée retrouvée, s’en
viennent butiner les abeilles
Et il y aura des Guirlandes aux fenêtres
Et la verdure partira à la conquête des mornes
Pour chanter enfin la vie éternelle dans la poésie du
rêve
Ah, que s’en vienne le Roi.
Et qu’il parle aux morts
Et qu’il leur tende le bonnet de l’arc-en-ciel
Dit pour les vierges mutilées
Je suis prince de la nuit
J’ai dérobé l’anneau d’or
Des vierges maculées
Et j’ai fait de ma vie un bordel dont j’ai éteint
les phares
Du frontispice des mâchoires éculées
J’ai arraché quatre raisons pour les placer chez moi
Dans la grâce et la moiteur ankylosée
Quatre raisons pour que les chiens glapissent et hurlent
à la mort
Sur la rousseur des barricades
Ma tour garde encrés dans sa désolation les remous
étranglés des premières lueurs de l’homme
Ma nuit de royaume fête constellation aux frontières
inespérées de la danse et de l’agonie des
coursiers
Ma nuit allongée suave pour chanter le vin de palme dans
l’humidité fatiguée des fougères la source cherche
son eau
Je porte enfouies dans les profondeurs de ma chair les
morsures de ma souffrance
La case s’est ouverte aux rayons de matins cupides
Et je regarde la fête dans le quadrilatère de son champ
marcher titubant
Sur la destruction des crânes échevelés
La patte de satin effrayant attirant délirant pour la
chute des êtres
Et la morsure d’ombres éteignant sur devant la course
crépusculaire
Il y a des midis sombres tout comme des matins de tafia
et il y a des veilles de carnaval où la ruée des orbites
à sanglot de sépulcre et chaleur de soupirs orgiaques
Il pleuvait de la glace. Une glace vermoulue qui
obstruait le soleil et broyait les derniers champs de
l’arc-en-ciel.
Si tu te promènes pense à la porte fermée, pense à la
marée chevauchant les récifs
Pense à l’exclamât des vierges couronnées de
flocons blancs
Les moteurs ronronnent
Et l’équilibre des choses ne veut point de serpent dans
la jarre
J’avais rêvé d’un bateau qui s’en serait
allé quérir tous les cerfs-volants du monde
Mais il n’est point de tournesol pour les
libellules
Heureuse traversée qui conduit au pays de nulle part
Michel Philippe Lebours lisant des extraits de son oeuvre. Enregistré à Port-au-Prince en 1992 par Jean-François Chalut. Vidéo de 8:33 minutes.
Les textes lus :
Un extrait d’Haïti et ses peintres de 1804 à 1980 ; Souffrances et espoirs d’un peuple, tome 1. L’Imprimeur II, 1989.
Trois extraits de sa pièce, Le Roi, publiée pour la première fois à Port-au-Prince aux Éditions Connaissance d’Haïti en 1975.
Le poème, « Dit pour les vierges mutilées » du recueil du même nom et qui n’existe plus. Le seul exemplaire dans la possession de l’auteur disparaît dans les décombres du tremblement de terre du 12 janvier 2010.
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