c'était comme si le printemps ne rêve plus aux fenêtres de l'enfance naïve que chaque ville en dérive s'arrête de songer à sa première Rose c'était comme si la mystérieuse cité de l'enfant-poète chantait aux vies méduses de son île douce-amère la Rose n'embaume plus le jardin le jardin ne voit plus la Rose grandir et que dans le calme mutilé se fige un clair de lune rebelle qui n'écrit plus ses lettres d'amour aux margelles des puits d'ombres Je suis allée chercher la rose de ce jardin et je l'ai transplantée sur un lit de fougères la Rose est devenue la sauvage éphémère qui regarde passer mon aimable enfance aveugle près de son silence et de ses cris éteints et de ce vide angoissant vole à tire-d'aile le colibri vert de nos souvenirs qui ne sait plus comment apprivoiser le réveil miraculé des sources d'aubes c'était comme si d'entendre le loup crier au loup à la gorge de nos jours de mort lente n'était rien qu'une étape fortuite de l'étrange métamorphose de la Rose hybride c'est comme une vieille histoire hilare de Pierrots désemparés qui jouent à longueur de jour aux devinettes et au Nitendo conteur et qui broutent à cent mille à l'heure les fauves pétales des fleurs de guerre sur des airs de rock et de blues Je suis allée voir le nid de fougères qui marche encore au ras du jeune cœur errant de mon île j'ai vu le vent fougueux de la haine emporter le rêve et la Rose hybride loin des jardins de l'enfance hagarde c'est comme si la révolte d'une ultime jeunesse sourde et menteuse cache le rouge éclatement d'un dix-septième hiver qui m'éclabousse le nez. et moi je fus longtemps au bord de ces orages et de cette peur de vivre j'ai joué du rock et des blues pour retrouver à vol d'oiseau le cœur nomade des enfants de nos rues désertes j'ai fait fi de mes angoisses pour revivre l'histoire d'une Terre effrayée j'ai dressé des haies de sagesse pour abriter l'eau vivace de nos fougères et je suis devenue la Louve Repentante qui ne veut plus nourrir le cauchemar bêlant de nos saisons honteuses qui crèvent au vent de la démence maintenant assise contre le pont d'un temps étrangleur bercé de sources perdues de chutes d'anges et de braises magiques mon enfance étourdie remonte l'amour patient qui lui parle encore de la Sauvage éphémère et moi je fus d'hier et d'à présent l'habitante de ce songe j'ai rêvé à l'éternelle poétique d'une généreuse présence qui gardera l'entrée des nouveaux jardins de mon île secrète et moi je vous parle encore de ma Rose close et rebelle elle pleure la solitaire une enfance malhabile qui lui tient toujours la main et qui harponne ses pas de géante ensemble nous avons vécu et vu grandir cette histoire pleine d'éblouissements de fruits exquis d'illusions dormeuses et de forces aveugles ensemble nous avons hurlé d'angoisse pleuré ri derrière ce parapet songeur de nuits carnivores nous sommes maintenant Elle et lui figés dans les champs de la survie comme un chien de faïence et louve atterrée nous regardons notre amour veiller le nid de fougères et la Rose hybride endormie nous sommes si fragiles que tout semble branler autour de nos frontières si démunis que chaque souffle subit nous désarme l'esprit ce soir dans la chambre fermée où je cherche toujours une réponse possible m'arrive attentive l'eau calme de mes yeux de l'enfance nomade comme m'attire à cœur ouvert la légende naïve de mes dix-sept hivers d'argent ainsi la neige somnolente frappe aux fenêtres de mon jardin le froid brêlant blanchit la Rose de mon nid marin la première Rose cherche dans mes mains étonnées son ciel et son eau l'eau rafraîchit les fougères les fougères regardent la Rose la Rose parfume le colibri le colibri chante à la lune la lune lit l'heure le temps chavire la nuit la nuit berce mon île secrète mon île secrète sourit au nid de fougères le nid de fougères garde la Rose la Rose dialogue avec l'enfant-poète l'enfant-poète s'endort avec sa Rose et tout va bien et tout s'en va
Ce poème inédit de Jacqueline Beaugé-Rosier, « Conte de l’enfance aveugle », est offert par son auteure aux lecteurs d’Île en île où il est publié pour la première fois le 26 juin 2007.
© 2007 Jacqueline Beaugé-Rosiers
Retour:
- Jacqueline Beaugé-Rosier – page de présentation
- littérature haïtienne
- littérature @ Île en île