La terre est vide comme une étoile
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Pris dans les mailles des mots
Le poème est la bouée
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page 31 |
Je t'allongerai dans un rayon d'eau vive
Les pieds ouverts sur la toile brune
Et je perdrai le fil du rêve
Et la notion du temps
Je m'enfoncerai les mains déliées dans le creux vert
Sans regret
Sans amarres
D'avoir pris les chemins de traverse
Emporté comme un songe
Par la houle
Et par ta lumière
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Le vieux paysan s'est assis sur la pierre
Et voit passer les heures
Ses doigts ressemblent au cordage des navires
Ses vêtements sont des puits de lumière
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L’adolescent qui regardait passer la vie
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Assis à ma table de travail, je m’accrochais
tant bien que mal à Crime et Châtiment.
J’adorais Dostoïevski, mais ne pouvais pas
fixer mon attention. Une sensation de vide
m’enlevait toute envie de lire. Je voyais
des lettres sans en comprendre le sens.
C’était comme des chiures de mouche.
À mon âge, les jeunes sont enthousiastes. Moi je
n’allais nulle part. J’étais en
manque d’avenir et ne m’intéressais
qu’à mes rêveries. Ma vie me semblait
nulle même si j’étais un gosse de
riches. »
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page 42 |
Le petit Proust attendait le baiser de sa mère et
mouillait son oreiller de larmes lorsqu’elle
tardait à venir l’embrasser. Je détestais le
baiser de ma mère et ne voulais pas imiter Proust.
Chacun son monde. Il faut entendre le son de sa
voix parmi tous les accords qui se présentent. Et
la littérature, c’était de distinguer ce qui
nous appartient en propre et non de singer les
autres. J’avais l’impression
d’avoir quelque chose à exprimer et de
pouvoir trouver ce qui ferait qu’une phrase
était de moi, juif tropical, et non de Proust,
juif parisien. Il fallait viser au plus haut sans
crainte d’être immodeste. Moi aussi, je
deviendrais célèbre.
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La vraie vie est absente
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Nous écrivons avec nos hontes
Et nos suppurations
Nous écrivons dans la douleur
L'estomac noué
Nous écrivons la main tendue
Vers ceux qui nous ignorent
Là est notre manière
Poètes
De guérir nos blessures
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Malgré le sable et la tempête
N'oublie jamais la mer
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L'arbre s'est assis auprès de la rivière
Écartant ses grands bras dans l'azur
L'air du matin frissonne dans les broussailles
Et la rosée fredonne
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Ex-île
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Je me revois
Près des arbres de lune
Avec pour tout vêtement
La mer
Temps d'insouciance et d'innocence
De hauts vaisseaux s'étiraient près du port
Et les femmes noires et fières
Descendaient des montagnes
Avec des paniers d'ambre
Et de couleurs
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page 16
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Me manquent
Les bruits du soir et les senteurs
Le coq qui chante à la mi-nuit
Les chiens en rut sous la fenêtre
Me hantent
Le bruit sourd
Du tambour
Au creux du soir
Et cet homme
Qui fait rire les petits
En portant sur la tête un amas de bouteilles
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Je veux chanter la mer
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page 9
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Au sommet de la plus haute tour
Il y a la mer et le poème
Et puis le songe qui naît de rien
Comme un souffle épuisé par l'absence
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page 20
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Où es-tu où es-tu ô mon âme
Je voudrais te parler
Te dire ces phrases cent fois redites
Où es-tu où es-tu
Je veux te voir te dire un dernier mot
Toucher ta main ton bras
Je te veux près de moi
Où es-tu
Parle
Dis-moi
Je n'entends point
Beckett attend Godot
Mallarmé n'écrit plus
Le monde se ferme comme un main
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L’île aux deux visages
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page 67
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Malgré la chaleur, l’homme frissonna. La
lune, enveloppée de nuages noirs, ressemblait à
une divinité maléfique. Depuis son plus jeune âge,
il avait peur de l’obscurité, mais ce soir
c’était pire. Chaque ombre lui semblait une
menace et les histoires d’horreur de son
enfance lui revenaient à l’esprit. Les
troncs d’arbre et les feuilles devenaient
zombis et loups-garous.
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pages 70-71
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Jean X eut la conviction que l’homme allait
mourir. Et lui ne pourrait rien faire. Il
ressentit une frayeur jamais éprouvée, pas même à
Port-au-Prince en présence des macoutes. Les
masques lui firent penser à des démons. Il enfonça
ses doigts dans le sol pour ne pas hurler et
sentit quelque chose de froid lui glisser entre
les jambes. Était-ce une de ces couleuvres
qu’il craignait tant? Ses dents coupèrent
ses lèvres et le sang coula. Il comprit alors que
la couleuvre n’était que du liquide : il
avait uriné sous lui sans s’en rendre
compte.
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Moi natif natal
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page 11
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Ô ce goût d'île et d'oisiveté
Ce goût de sel marin
Arôme d'ilang-ilang
Tous ces mois
Ces années
À bavarder de tout
De rien
Ô mon amour unique
Fraîcheur du grand jour tropicalRedis-moi je t'en prie
Les syllabes qui me hantent
Comme un rêve d'ex-île
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page 28
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J'aimai la fille fleur au seuil d'adolescence
L'être de nuit qui semblait une enfant
J'aimai la fille fleur
L'amande au buisson frais
Faut-il faut-il que je m'en ressouvienne
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Les fleurs ont la saveur de l’aube
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page 47
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Je ne dis pas ce que je voulais dire
Les mots me viennent
Et ce n'est point la houle que je porte au tréfonds de moi-même
Je cherche je cherche une phrase qui
Peut-être
N'existe qu'en songe
Peut-être n'était-ce qu'un leurre
Une image qu'après l'on court
Et qui se cache
L'ombre d'une phrase
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Je ne veux pas mourir chauve à Montréal
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page 15
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J’ai quitté Haïti pour les mêmes raisons que
des milliers d’âmes errantes. Parce
qu’un médecin de campagne au regard torve,
las de soigner le «pian» qui ne lui donnait ni
gloire ni sous, se masturbait symboliquement en
terrifiant six millions de gens qui
jusqu’alors vivaient paisiblement… Du
jour au lendemain, la Perle des Antilles était
devenue l’annexe de l’île du Diable.
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La sélection ci-dessus de l’œuvre de Gary Klang a
été spécialement conçue pour Île en île et renvoie aux
pages de première publication de chaque texte.
© Gary Klang
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