(à gauche, le poème en kréol rénioné lu par l’auteure ; à droite, sa traduction libre en français) |
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Mi ? In gout la pli, klèr, perdi, ti gine, ti
line i sant. Mi ? In lorkidé lo ravine, in ti pwin fermé, in kros fouzèr in ti lodèr lo sin mon moman, in zézèr.Moin lé marmay, tand.Li ? In rwa sévé mayé, in Bondié siyouplé in sat maron i sap dann sité in ti kèr pès. Li sant.Li lé marmay, tand.Li, Bon pé kanèt ék nid’gèp, dann son pos nana mang èk bébèt dann son têt zistwar Ti zan ek Dragon-Ball-Z Li lé marmay, tand.Mon zyé lé byin rouvèr. Mi rèspèk bann pésèr lo mèr, lo rivyèr bann gardyen sirk vèr mon kèr lé klèr.Moin lé marmay, tand.Dann kaz, lo fra i vey amoin komm lé sir lo fé i défann trap kamaléon tansyon i gob mon zyé tansyon mi uz, mi tak mon bèk, mi bèk la klé, tansyon la raz i soukouy a moin, i pandiy a moin, i bat a moin a tèr tansyon bézèr do paké. Moin lé marmay, tand
La fra i vey amoin
Somin do flèr, somin do fé Mi sant.
Lo vyé té i dans zako Moin lé marmay tand.
Bann zansèt la tras ankor Mi sant.
Kisa ou krwa mi lé ?
Mon min lé ni.
Moin lé marmay, tand. |
Je suis aussi petite qu’une goutte de pluie,
aussi limpide, aussi perdue, aussi nombreuse. Sur
mes robes des brassées de pétales. Chaque aube
nimbe ma chambre de lumière par les trous de la
tôle. Je suis sœur de fougères fraîches, odeur de sève et de lait. Je porte le nom du Jour. Mes oreilles sont déjà percées d’or avec l’épine du citronnier. Ma mère rougit mes ongles avec les pétales du conflor.Je suis aussi rond qu’un macatia chaud, aussi tendre, aussi neuf. Je suis Roi, Souverain de nombreux royaumes. Chaque pluie chaude baigne mon corps d’eau pure recueillie pour moi. Je bois de la tisane de cœur de pêcher au moindre mal de ventre. Je porte le nom du père. En principe. Des brassières brodées des jours de Cilaos, offertes. J’ai des chats et des abeilles.Je suis l’enfant.Au front, j’ai un petit papier rond comme une tika pour arrêter mon hoquet lorsqu’on m’a trop nourri. J’ai des jouets trop chers pour ma mère. J’écoute les histoires de Ti Jan et de Dagon Ball Z toutes emmêlées dans la bouche des grands. Je cueille pour ti case les fruits du cacao, longs, rouges, côtelés, scellés, plein mes bras. Dans ma poche, un mouchoir parfumé d’essence d’héliotrope blanc, propre, jamais omis. Dans l’autre des kanets comme autant de terres, des billes plates pour atteindre le bout du monde. Je débusque les nids de guèpes avec une grande golette pour m’en gaver dans les jardins des gens absents, enfumés par mon chiffon à pétrole, et je suce les cannes des champs en descendant des bus scolaires.Je suis l’enfant de la porteuse d’eau, de la femme qui abreuve les siens à la Fontaine Tortue. L’enfant de la bande « Tape, Tape, Dans Les Mains », de la Rivière, du Courant, des fers blancs. Je suis né les yeux ouverts sur le monde. J’ai salué les pêcheurs de bichiques aux embouchures et tous les gardiens des cirques verts, les passants des villes vivifiantes.Je suis l’enfant.Dans la cour, le frère me veille comme du lait sur le feu: un caméléon des feuillages pourrait, en voyant bouger mon œil, y coller sa langue ventouse et m’aveugler pour toujours. Alors, je connaîtrai les grenades lacrymogènes des grands ensembles.Or, je suis l’enfant.Je donne la main et je vis au sein des familles, sur les balcons des cités. Je vais chercher le sel chez la voisine et vends des cornets de pistaches grillées contre les dix francs des chariots roulants des supermarkets, berceaux des enfants du jambon à la coupe. J’ignore les vigiles et les chiens. Je lave les pare-brises avec du liquide vaisselle délayé d’eau à tous les feux rouges. Je suis l’enfant. Je suis nombreux. J’escalade le dessous des ponts de la ville à des mille et des mille de hauteur pour chercher les petits œufs frais des pigeons. Et je les rapporte à l’assistante maternelle sans vertige. Je suis l’enfant.
Mes grosses chaussures de sport américaines qui
coûtent la peau des fesses sur le goudron chaud
qui tremble dans le soleil de midi… Leurs
semelles fondent. Qui veut que je reste tranquille ? Je suis l’enfant.
Ma grand-tante marchait avec ses chaussures
autour du cou nouées par les lacets, en revenant
de la messe car ses pieds étaient tellement
larges, tellement forts, que le cuir lui faisait
des entailles sévères. J’aime les pieds de
ma grand-tante, arrosés mille fois dans la cour
comme une plante vivace. Je suis l’enfant libre.
La télévision est ma mère jusqu’à onze
heures le soir. Il faudra que le frère me
couche.
Je suis rieur. Je suis habile au tir des pierres
pour décrocher les mangues les mieux pendues,
viser les pieds des copains. Je suis l’enfant. Or ma toute puissance est incomparable: je repose au creux des joies. Je porte l’espérance des ancêtres ancrés dans mes gênes. Je suis la survivance. |
« À Aurore, à l’Oasis » est un poème de Claire Karm, lu ici par l’auteure sur le disque Les poètes sont des Kaniar. Marseille: K’A (poèt larénion n° 5), 2001. Texte et enregistrement reproduits avec la permission de l’auteure et des Éditions K’A.
© 2001 Claire Karm ; © 2001 K’A pour l’enregistrement audio (3:01 minutes).
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