L’Heure
À l’église du Sacré-Cœur
l’heure
l’heure sonne,
et ma mélancolie se déroule,
volutes molles,
au rythme du son.
Heures qui sonnez,
heures qui fuyez,
en la nuit brève,
en la nuit brune,
sonnerez-vous mêmement
au jour de mon agonie ?
Nostalgie
Tambour
quand tu résonnes
mon âme hurle vers l’Afrique.
Tantôt je rêve d’une brousse immense
baignée de lune,
où s’échevèlent de suantes nudités.
Tantôt d’une case immonde,
où je savoure du sang dans des crânes humains
Nous
Nous les extravagants, les bohèmes, les fous,
Nous
qui aimons les filles,
les liqueurs fortes,
la nudité mouvante des tables
où s’érige, phallus,
le cornet à dés.
Nous
les écorchés de la vie, les poètes.
Nous
qui aimons tout,
tout;
l’église,
la taverne,
l’antique,
le moderne,
la théosophie,
le cubisme.
Nous
aux cœurs
puissants comme des moteurs
qui aimons
les combats de coqs
les soirs élégiaques,
le vrombissement des abeilles
dans les matins d’or,
la mélodie sauvage du tam-tam,
l’harmonie rauque des klaxons,
la nostalgie poignante des banjos.
Nous,
les fous, les poètes,
nous
qui écrivons nos vers les plus tendres dans des
bouges
et qui lisons l’Imitation dans les dancings.
Nous
qui n’apportons point la paix,
mais le poignard triste
de notre plume
et l’encre rouge de notre cœur !
Vous
Vous,
Les gueux,
les immondes,
les puants :
paysannes qui descendez de nos mornes avec un
gosse dans le ventre,
paysans calleux aux pieds sillonnés de vermines,
putains,
infirmes qui traînez vos puanteurs lourdes de
mouches.
Vous
tous de la plèbe,
debout !
pour le grand coup de balai.
Vous êtes les piliers de l’édifice :
ôtez-vous
et tout s’écroule, châteaux de cartes.
Alors, alors,
vous comprendrez que vous êtes une grande vague
qui s’ignore.
Oh! vague,
assemblez-vous,
bouillonnez,
mugissez,
et que sous votre linceul d’écumes,
il ne subsiste plus rien,
rien
que du bien propre
du bien lavé,
du blanchi jusqu’aux os.
Je vais vous dire
pour Jacques Roumain
Écoutez, compagnons,
je vais vous dire des choses…
Tout d’abord, versez à boire :
Quand j’aurai claqué, mes chers copains,
ne pleurez pas,
n’écrivez point de plaintives élégies,
surtout, ne faites pas de vers In Memoriam.
Mais que ma tombe vous soit une taverne
où l’on chante,
où l’on se saoule,
et que le rythme mystique et sensuel d’une méringue
me berce dans ce moelleux hamac qu’est
le néant.
Je vide ce verre
avec l’espoir
que les toasts qu’il me reste à faire
ne seront pas nombreux.
Ô Loulouse
Douce Loulouse
tu buvais de la crème de menthe
du gin
du « Black and White »
et tu es morte.
Ô Loulouse,
tu sentais la pommade moelle de bœuf
le Pompéia
tu fumais le tabac de Virginie
et tu es morte.
Loulouse,
tu te dévêtais entièrement
quand tu faisais l’amour,
mais tu es morte
et contemples à jamais
le bout de tes orteils.
Ces poèmes de Carl Brouard (1902-1965) – « L’Heure », « Nostalgie », « Nous », « Vous », « Je vais vous dire » et « Ô Loulouse » sont extraits de la première partie (poésie) de l’Anthologie secrète de Carl Brouard, publiée aux Éditions Mémoire d’encrier à Montréal, 2004. pages 27, 29, 37-38, 39-40, 41 et 53.
© 2004 Éditions Mémoire d’encrier
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