Camarade
Camarade
Comprendras-tu d’où je viens
Si je te raconte mon itinéraire
De chien errant
De poète aux amours lunatiques ?
Sauras-tu m’aider à compter
Les crucifix de l’exil
Si je te chante le langage orgasmique
Des rues de mon pays
Avec ses gens simples
Dont le bonjour accouche de rêves plus larges que la
vie ?
Sauras-tu panser ma plaie
Si je te dis qu’un certain soir de noces
d’anthropophages
Le colon a roulé mon pays aux quatre coins cardinaux
Pour en faire deux morceaux
Deux mules
Deux tombes à ciel ouvert ?
Comprendras-tu enfin
Mon accent de cassave
Et de petit-mil
Si je t’apprends que ma langue est sortie tout
droit
Des papotages des trois coups de midi
Et du glaive du bourreau ?
Regarde-moi, camarade !
Regarde-moi !
Sauras-tu m’aider
À trouver le chemin du retour
Si je peins sur du papier cette orgie de lumière
Que fut le regard d’une déesse anonyme
De la ruelle Titus ?
Si je te dis que je suis d’un pays
De contredanse
Où les enfants sautent à hauteur du soleil
Un pays de contes et de tambours
Où les femmes ont un cœur tout aussi rond que la
terre
Avec assez de veines pour recycler toutes les eaux de
l’Amérique
Toutes les peines de l’Amérique
Camarade
– Entre nous –
Comprendras-tu jamais
D’où je viens ?
Feu Follet
Rires fous, larmes folles, la ville saigne encre bleue
encre noire sur
Son portrait d’araignée
Et j’arrache au ciel sa poésie mi-nausée,
mi-soleil pour tes yeux
Outre-mesure et ton corps dernière magie dernière valse
Ribambelle et ritournelle la vie tourne debout sur un
vieux banc
D’écolier marchant cric-crac sur la même place
Et je défonce la ligature des pierres pâles pour
démarrer le temps
Complice de tes rêves-prison et de mes
espérances-éternité.
Rires fous, larmes folles, ribambelle et ritournelle je
prostitue mon
Corps à l’attente de tes baisers et ma soif à la
démence de ton silence
Et j’attends et je t’aime feu de bois
papillon sauvage et je t’aime et
J’attends rive longue place vide.
(Extrait de Fiel-miel)
X
Toi, que je ne nommerai pas
Ne t’en va pas
Et surtout pas ce soir
Ne t’en va pas reste là
Quelque part à Somalie
Un cri nu attend la chaleur de nos doigts
Pour se faire un visage d’homme
Dans cette chorégraphie de cadavres ambulants
Non,
Ne t’en va pas reste là
Là à côté de moi
De peur que ne s’avorte le printemps
Avec sa chanson et ses hirondelles
Toi, que je ne nommerai pas
Ne t’en va pas
Et surtout pas ce soir.
Ces trois poèmes d’Angelucci Manigat – « Camarade », « Feu Follet » et « X » – ont été publiés pour la première fois dans Mémoire du petit chien d’à côté (New York: Sève Tropicale Corporation, 1995), pages 27-29, 35 et 13. « Feu Follet » est un extrait de Fiel-Miel (New York: Éditions Marasa, 1987), republié dans Mémoire du petit chien d’à côté. Lus par l’auteur avec un accompagnement musical du guitariste Marc Mathelier, les extraits audiophoniques sont tirés du CD-audio 20 ans de poésie, produit à Stamford (Connecticut) par le Angelucci Learning Center en 2004 et sont offerts aux lecteurs d’Île en île par l’auteur. Durée de l’enregistrement: 4:10 minutes.
© 1995, 2004 Angelucci Manigat, Jr.
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